30 novembre 2010

Arrivederci Mario


Bien entendu je devrais m'habituer à la mort de mes Chers Amis...mais il n'en est rien. Aussi ce matin, noyé entre deux infos forcément déprimantes, j'apprends la mort de ce bon Mario Monicelli. Me reviennent alors les films adorés, ce merveilleux "Pigeon", "Un bourgeois tout petit petit", " Les Camarades" et bien entendu "Mes chers Amis". Moi, pour qui le cinéma Italien sera mon bac + 5, ma muse, mon Amour per sempre. Ce cinéma qui fût mon université libre et joyeuse, ma formation politique et social. Je sautais d'un festival à une rétrospective, guettant fébrilement dans l'officiel des spectacles la sortie d'un film que je ne connaissais que par mes lectures de J. A. Gili, LE spécialiste du genre. C'était il y a un siècle, au début des années 80, quand les salles parisiennes offraient encore un choix incomparable. Je pouvais réciter l'alphabet en citant à chaque lettre un réalisateur, un acteur. D'antonioni à Zurlini, sans oublier le grand Risi, Gassmann, La Magnani, La Loren, Bolognini, Comencini, Scola, les frères Taviani et tant d'autres. Je pleurais à la mort de Marcello Mastroianni (je le pleure encore...)

Tous me parlaient d'une Italie vive, populaire, vraie. Ce qu'aucun autre cinéma n'offrait alors avec tant de diversité. J'allais voir et revoir à satiété "Cuore", "Identification d'une Femme", " La Dolce Vita", 'La Grande Guerre" "Stromboli". A tel point que je rencontrais parfois les mêmes personnes, formant une famille informelle mais unie par ce fil invisible. J'aimais par dessus tout ce regard sans concessions mais toujours aimant sur le peuple, sa condition, ses combats grands et petits, glorieux et mesquins; pour vivre et survivre. Le cinéma Français me semblait fait par de petits bourgeois et leur regard sur le peuple m'apparaissait caricatural, simpliste ou pire méprisant. Ce qui n'a guère changé. Autant de travers que ces grands messieurs évitaient superbement. Aussi ce soir j'ai retrouvé cette merveilleuse phrase de Monsieur Monicelli :

«Les gens que j’ai connus à l’époque étaient très engagés et solidaires. Nous voulions extraire le pays d’une époque stupide, la moderniser, la faire entrer en Europe. Mais la génération suivante s’est vite corrompue. Le marché a commencé à commander tout, plus de merci, plus de pitié et tout s’est détérioré.»
«La génération de 68 a pris le pays d’assaut en pensant qu’ils pouvaient complètement changer ce qu’avaient fait leurs parents avant eux, en les ridiculisant, en les traitant de vieux qu’il fallait jeter. Ils croyaient qu’ils pouvaient tout rénover. Ce fut une génération de gens violents et corrompus. Le sens de la responsabilité collective s’est alors perdu. Les gens sont devenus individualistes et ont commencé à imposer leurs vues à leur voisin.
Le cinéma était trop bourgeois à leur goût, et pourtant, ils affrontaient la vie chacun pour soi. Ils ont méprisé la culture de leurs pères, d’origine paysanne, qui s’était développée dans la participation et la tolérance. Ils ont tout laissé tomber.
Dans l’Italie rurale, qui était encore celle de l’après-guerre,"l’autre" n’était pas un adversaire mais un compagnon. C’était ça la culture. Ce qui l’a remplacé c’est l’inculture.
Il y avait alors 10 % de, disons, des aristocrates et le reste, tous les autres, nous étions plus ou moins pauvres. Nous nous déplacions en Lambretta et nous étions vifs comme la foudre. C’était le temps de la "furbizia" ingénue.
L’innocence a disparu peut-être avec l’assassinat d’Aldo Moro. On avait alors encore l’espoir que le communisme pouvait arriver au pouvoir par la voie démocratique. Que c’était un avenir pour nous. Et pour éviter tout ça ils ont tué Aldo Moro…


Triste constat d'un jeune Ragazzo de 92 ans, d'une lucidité terrible d'un Homme qui jusqu'à sa mort s'est battu pour la dignité de ses semblables.
Grazie Mario, Grazie mille e arrivederci...

KLL

Lecture : "Le Cinéma Italien" de Aldo Bernardini, Jean A. Gili
Films : "Mes Chers Amis" de Mario Monicelli

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