29 mai 2006

Nanni, Nanni, Nanni, Signore Moretti



Sorti de la salle de cinéma, cueilli par un froid qui n'a rien de saison. Et pourtant je viens de quitter un ami de longue date, d'une amitié platonique.
"Bianca" avait été pour moi la découverte d'un nouveau cinéaste Italien, acteur-réalisateur qui parlait si bien de la société, notre société à travers nos vies, nos travers, nos désirs et nos désillusions.J'avais adoré aussi "Palombella Rossa", et tous les films qui suivraient. J'aime profondément cet homme dont j'ai su de suite qu'il ne ferait pas de film pour faire un film... de plus. Mais seulement parce qu'il avait à nous dire, à nous provoquer, à nous questionner, à travers lui, Michele, Nanni, Moretti.

Le Caïman ne fait pas exception à cette règle. Et si finalement le film parle évidemment de berlusconi, il nous parle aussi et surtout de nous, de notre position face à cette société mercantile où seule la vulgarité égale la médiocrité. Il nous parle de cette Italie qui fût belle, résiste encore parfois. D'une Italie vulgarisée par la loi de l'argent, des télévisions, des journaux berlusconiens. Que du capitalisme triomphant naissent des hommes tels que berlusconi, à cela rien d'étonnant. Le plus grave est qu'il s'approprie par les urnes le pouvoir législatif. Et seul en Italie résistent encore quelques juges courageux, incarnant presque à eux seuls le nécessaire contre-pouvoir. L'Italien est sorti affaibli, appauvri, malade de 30 ans de berlusconisme télévisuelle, c'est un fait. Un fait suffisamment sûr pour que même le téléspectateur "moyen" français soit bien incapable de regarder une chaîne de ce sinistre bouffon sans migrer ailleurs. Cet homme a joué habilement sur la volonté partagée par tous d'avoir une vie meilleure. Et pour cela il s'est bien sûr présenté en modèle absolu, dictateur d'opérette, entraînant l'Italie toujours plus bas. Jusqu'à se faire élire en prônant (bien entendu) moins d'état et plus de privé, refrain connu mais efficace, laissant la place aux requins dépeçant rageusement des services publics déjà mal en point. berlusconi disait en substance :"je suis milliardaire, élisez-moi, je ne mettrai pas les mains dans la caisse, je n'en ai pas besoin...". Et la moitié des Italiens de voter pour ce piètre bouffon.
Il n'y a pas d'équivalent en Europe d'un homme aussi puissant ayant tenu en ses mains un pays entier, économie et politique incestueusement mêlés. Et pourtant les gens savent, sont avertis. berlusconi a corrompu, est corruptible, a été condamné. Nanni interroge à plusieurs reprises ses personnages sur l'origine de la fortune de berlusconi, sur ses société écrans, ses prêtes noms. Les gens savent mais votent pour berlusconi, pour balkany, demain pour sarkozy ? Tout cela est bien triste et prépare idéalement la place à l’homme fort, fossoyeur de nos libertés.
Et la gauche officielle, proclamée comme telle, n'a que peu d'idées à opposer, toute affairée qu'elle est à se disputer une place au soleil.
Je me souviens qu'il y a quelques années, Nanni avait lors d'une manifestation de l'Olivier (gauche unie), saisit la tribune pour haranguer devant une foule énorme, les hommes politiques présents. Pour leur jeter à la face leur tristesse, fustiger leur inertie, leur incapacité à proposer, à résister brillamment et avec intelligence au caïman. Y a t'il UN seul Nanni Moretti en France ? Il Caimano est aussi une magnifique déclaration d'amour pour un cinéma militant, un hommage à Gian Maria Volonte, Michele Placido, Francesco Rosi... et tant d'autres.

Grazie Nanni, Grazie mille.

KLL

Bande son : « The Blowers Daughter » - Damien Rice – album « O » (que l'on trouve dans le film)
… si même nos penchants musicaux nous rapprochent…

Aucun commentaire: